Texte de Rupert Spira
Q : Nisargadatta a dit: “Pour vous, vous apparaissez dans le monde. Pour moi, le monde apparaît en moi.” Si quelqu’un comprend cela, c’est la fin de l’histoire…
R : Si c’est pour vous la fin de l’histoire, je le respecte et ce qui est dit ici peut être sans intérêt. Toutefois, pour ceux qui comprennent par leur propre expérience, que le monde apparaît en eux et pourtant continuent à se demander ce qu’est réellement ce monde qui apparaît, il y a plus à dire à ce sujet.
La formule “le monde apparaît en moi” est vraie dans la relation avec la croyance précédente que le monde apparaît à une distance et en dehors de moi-même (et c’est sans doute dans ce contexte que Nisargadatta l’a utilisée).
Toutefois ce n’est pas la compréhension finale.
Il y a encore une dualité subtile dans cette déclaration, entre le monde qui apparaît, bien qu’en moi en tant que Conscience, et la Conscience elle-même.
La contemplation plus profonde de l’expérience révèle qu’en fait rien arrive ou apparaît dans la Conscience. D’où cela viendrait-il et de quoi cela serait-il fait ?
Le “monde” est simplement la croyance, qu’il existe quelque chose d’autre que la Conscience, qui apparaît de temps à autre. Cependant si nous partons à la recherche de ce monde, de quelque chose qui apparaît et disparaît, nous ne trouvons rien.
Notre expérience, qu’elle soit reconnue ou non, est toujours celle d’une substance éternellement présente, homogène et ne changeant jamais, qui est à la fois connaissance et présence.
C’est tout ce que nous sommes, tout ce que nous connaissons et tout ce que nous aimons. Nous, cette Présence, ne bougeons jamais, ni ne changeons, n’allons nulle part et ne faisons rien. Nous sommes toujours à notre place, en ce lieu sans lieu de nous-même.
Nous demeurons simplement tel que nous sommes, et parfois cela semble être coloré, pour ainsi dire, par le goût du thé, le son d’une conversation, l’image de la rue et des voitures, l’aéroport de San Francisco, le gris du ciel Londonien, la texture des draps, l’image d’un rêve, le “néant” du sommeil profond et puis l’email d’un ami…
Dans ce lieu sans lieu, rien n’apparaît à l’intérieur de la Conscience. Il n’y a pas de monde, d’autres ou d’objets, en tant que tels. Je, la Conscience, suis la seule substance de tout (mais il n’y a pas de “tout”), et chaque chose apparente est moi-même prenant la forme apparente des goûts, des sons, des vues etc… mais étant toujours et seulement moi-même.
Ayant vu clairement qu’il n’y a pas de monde, d’objets ou d’autres en tant que tels, nous nous interrogeons alors sur ce qu’est la Conscience, cette substance unique. Pour lui donner un nom, nous devons l’objectiver, même si ce n’est que légèrement. Nous en faisons quelque chose… Nous sommes de retour dans la dualité.
Donc lorsque l’idée du monde s’écroule dans l’expérience, l’idée de la Conscience s’écroule également. S’il n’y a pas d’objet, il ne peut y avoir de sujet. S’il y a un sujet, il doit y avoir un objet. Ainsi même dans l’idée de l’Un, la dualité est implicite. L’Un est un de trop.
Nous réalisons alors combien les maîtres anciens étaient sages. Ils ne parlaient pas de l’Un. Au plus, ils disaient “non deux”…
Le mental ne peut aller plus loin que cela. Nous terminons en silence. Pas un silence qui est une absence de son, mais ce qui est avant l’absence ou la présence de son, ou pour élargir le champ, avant et au-delà du mental, du corps et du monde. Et pourtant, lorsque le mental, le corps, et le monde semblent apparaître, c’est seulement ce silence qui est connu.
Le concept “Je”, ou la Conscience, est le premier à apparaître et le dernier à disparaître. Il y a une bonne raison pour cela : c’est la seule “chose” qui soit “réelle” et donc la seule chose qui mérite vraiment une conceptualisation.
En fait, nous réalisons que tous les noms et tous les mots sont en réalité les noms de baptême de la Conscience, les noms qui semblent la qualifier. Le thé, les sons, la rue, les voitures, l’aéroport, le ciel… C’est sans nom, mais c’est appelé par tous les noms.
Donc d’une certaine manière, nous sommes de retour là, où nous avions commencé, par l’expérience pure. Tout est de nouveau très simple. Penser et contempler la nature de la réalité a fait son travail, est arrivé à sa propre fin. Nous nous retrouvons dans la rue, en quelque sorte, au coeur de toute expérience, en tant qu’amour, libre de prendre la forme de toute expérience et pourtant indépendant d’elle, nous nous retrouvons en tant que la paix elle-même.