Les étapes de la compréhension, ou des montagnes et des rivières.

Texte de Ramesh Balsekar

Dans la compréhension ultime, survient l‘être. Là, il n’est plus question de voir quoi que ce soit. Tout est une apparence et cette apparence est vue par l’intermédiaire de l’instrument qu’est l’organisme, par l’intermédiaire des sens.

Mais ce n’est jamais l’individu qui voit. Même si l’individu dit qu’il voit les montagnes, cela ne peut être dit que parce que la Conscience est présente. En réalité, les montagnes sont vues par la Conscience, qui est aussi l’apparition! La totalité de la manifestation n’est qu’une apparition, une apparence, crée dans la Conscience par la Conscience. Et ce fonctionnement de la manifestation, ce que nous appelons la vie et le vivant, c’est aussi la Conscience. La Conscience est à la fois l’interprète et le metteur en scène de tous les rôles des milliards d‘êtres humains. Chaque personnage est joué par la Conscience.

  • Existe-t-il une progression commune à tous les chercheurs? Chacun passe-t-il par les mêmes stades?

Les bouddhistes ont un excellent raccourci pour décrire à la fois la façon dont les éveillés voient le monde, et comment ils en sont venus à cette vision. Ils disent que la compréhension se décline en trois stades: le premier correspond à la vision de l’individu impliqué; le deuxième comporte une certaine compréhension; et enfin, il y a la compréhension totale.

Tout d’abord, les montagnes et les rivières sont vues comme des montagnes et des rivières. Un sujet individuel identifié voit un objet. L’implication est totale. C’est ce que vit le personne ordinaire.

Ensuite, les montagnes et les rivières ne sont plus vues comme des montagnes et des rivières. Les objets sont vus comme l’objectivation réfléchie du sujet. Ils sont perçus comme des objets illusoires dans la Conscience, donc irréels.

Enfin, les montagnes et les rivières sont de nouveau vues comme des montagnes et des rivières. C’est-à-dire que l‘éveil s‘étant produit, elles sont connues comme étant la Conscience elle-même, se manifestant sous la forme de montagnes et de rivières. Le sujet et les objets ne sont pas vus comme étant séparés.

Dans ce synopsis, les montagnes et les rivières signifient l’ensemble du monde, y compris toute sa population humaine. L’individu impliqué commence par voir des objets, en tant que sujet individuel voyant des objets. Il se considère comme une entité séparée regardant des objets autres. Le fait de voir d’autres objets ou événements provoque des réactions en lui, en tant qu’individu. Donc, l’organisme individuel réagit à ce qui est vu.

Au deuxième stade, quand est présente la compréhension que tout cela est un rêve irréel, la vision change et on commence à voir qu’aucun événement n’a réellement d’importance. Pour cet individu, les événements sont irréels puisque, en tant que sujet, il transcende l’apparence. cette apparence est quelque chose qui naît dans la Conscience. Quand la compréhension atteint ce niveau, l’individu y prend tellement plaisir qu’il a souvent du mal à la garder pour lui. “Tout cela est irréel!” va-t-il chanter sur tous les toits. Mais en fait, en essayant de dire aux autres que le monde est irréel, il cherche à changer le monde, à changer la perception des autres. Il ne réalise pas que le changement doit venir de l’intérieur. Et ainsi, en voulant transformer le monde, il va son chemin et se crée des problèmes. Ces problèmes occasionnés par le deuxième stade ne s’apaiseront qu’au troisième.

Au troisième stade, les objets ne sont vus ni par un individu, ni par un objet voyant un autre objet, ni par un sujet voyant un objet. On se rend compte que cela qui perçoit, est à la fois cela qui a créé l’apparence et qui connaît l’apparence. les deux ne sont plus qu’un. A ce stade, c’est la prise de conscience ultime, non seulement que le monde est irréel, mais qu’en même temps le monde est réel! Le monde est irréel en ce sens que sans la Conscience il n’existerait pas. Il n’a aucune existence en propre. Le monde doit son existence au fait d‘être connu dans la Conscience. Si chaque être humain et chaque animal devenaient tout à coup inconscients, qui resterait-il pour dire qu’il existe un monde? Non seulement le monde ne serait pas vu, mais il n’existerait pas.

  • Pourriez-vous approfondir cette notion de réalité et d’irréalité?

On a souvent recours à l’analogie de l’ombre pour expliquer les mots “réel” et “irréel”. Une ombre est irréelle en ce sens qu’elle a besoin du soleil pour exister. Néanmoins, en tant qu’ombre, elle est relativement réelle. Ainsi, elle est à la fois réelle et irréelle. De même, toute la manifestation doit son existence à la Conscience. La Conscience est inhérente à tous les objets, à la totalité de la manifestation. La Conscience transcende la manifestation, tout en lui étant immanente. La manifestation est contenue dans la Conscience.

Au deuxième stade, avant la compréhension finale, toutes sortes de concepts font leur apparition. On présume qu’il revient à l’individu de faire des efforts pour s’unir à Dieu. A ce niveau, celui du sujet et de l’objet, nirvâna et samsâra sont traités comme deux choses différentes. Alors, on parle du samsâra comme d’un océan de souffrances à traverser. Le jîva doit traverser cet océan et ne peut le faire qu’en accomplissant telle ou telle sâdhanâ . Et donc le chercheur s’engage dans la sâdhanâ . C’est le grand jeu. Il pratique pendant des années. Pendant des années il observe ce qu’il se passe, et se retrouve imbu de lui-même. A terme, quand il s‘établit dans la contemplation, il rejette tout. Comme le disent les Soufis, une sorte de cérémonie prend place; tout ce qu’il a appris et tout ce qu’il pense avoir atteint est brûlé.

Ainsi, au troisième stade, il est vu que le monde est à la fois réel et irréel. Quand cette compréhension se produit, la connaissance se stabilise et il n’y a plus aucun désir actif d’en parler au monde, de vouloir transformer le monde. Dans cet organisme où s’est produit l‘éveil, il y a une acceptation de ce-qui-est, à la de l’immanence et de la transcendance. Nirvâna et samsâra ne sont plus deux. Le samsâra est l’expression objective du nirvâna.

Dans la compréhension ultime, survient l‘Âtre. Là, il n’est plus question de voir quoi que ce soit. Tout est une apparence et cette apparence est vue par l’intermédiaire de l’instrument qu’est l’organisme, par l’intermédiaire des sens. Mais ce n’est jamais l’individu qui voit. Même si l’individu dit qu’il voit les montagnes, cela ne peut être dit que parce que la Concience est présente. En réalité, les montagnes sont vues par la Conscience, qui est aussi l’apparition! La totalité de la manifestation n’est qu’une apparition, une apparence, crée dans la Conscience par la Conscience. Et ce fonctionnement de la manifestation, ce que nous appelons la vie et le vivant, c’est aussi la Conscience. La Conscience est à la fois l’interprète et le metteur en scène de tous les rôles des milliards d‘êtres humains. Chaque personnage est joué par la Conscience.

Au stade final, la question “Pourquoi cette lilâ existe-t-elle?” est comprise. Par conséquent, plus aucun problème ne s‘élève. Le chercheur a perdu son irrésistible désir d’enseigner au monde ce qu’il a appris, parce que la compréhension de base est qu’il n’a rien appris du tout. La compréhension est venue d’elle-même, c’est un don de Dieu, un don de la Totalité, c’est la Grâce. Mais il n’est absolument pas question d’un “quelqu’un” considérant qu’il a de la chance. L’individu ne pense avoir tiré le gros lot que quand l‘éveil ne s’est pas véritablement produit.

Extrait du livre L’appel de l‘être (p.284-287).

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