Texte de Thibault
Quelle que soit la diversité des critiques philosophiques du libre-arbitre, le problème à résoudre se situe dans le domaine de l’éthique. Saint Thomas d’Aquin (1225-1274) faisait remarquer que la morale est impensable sans le libre-arbitre :
« L’homme possède le libre arbitre ou alors les conseils, les exhortations, les préceptes, les interdictions, les récompenses et les châtiments seraient vains » (Somme théologique).
La négation du libre-arbitre déresponsabilise l’Homme. Si le libre-arbitre est une illusion, comment tenir qui que ce soit pour responsable ? Comment juger d’un point de vue moral un acte ?
Friedrich Nietzsche (1844-1900) prend le contre-pied de cette analyse en affirmant au contraire que le libre-arbitre est « le plus suspect des tours de passe-passe des théologiens, aux fins de rendre l’humanité « responsable », au sens où ils l’entendent, c’est-à-dire de la rendre plus dépendante des théologiens » (Crépuscule des idoles). Pour Nietzsche, qui se définit comme un immoraliste, la théorie du libre-arbitre a été inventée par les religieux afin de rendre l’Homme coupable, et d’infecter le monde des notions de « punition » et de « faute » dans un but de châtiment: « Le christianisme est une métaphysique de bourreau » écrit-il. Si Nietzsche considère le libre-arbitre comme une fable, il critique cependant son contraire, ce qu’il appelle le « serf-arbitre » (dans Par-delà bien et mal) qui, par un abus de la relation de cause à effet, permet à l’Homme à se décharger de l’ensemble de ses responsabilités. Les notions de « cause » et d’ « effet » ne seraient en effet que de purs concepts servant à désigner des phénomènes mais non à les expliquer.
Qu’en est-il du libre-arbitre aujourd’hui ? Les recherches récentes en neurophysiologie, si elles n’ont pas éliminé le libre-arbitre, semblent avoir cantonné sa fonction au rôle d’arbitre. Kornhuber a mis en évidence que près d’une seconde avant la décision d’un acte, le cerveau a préparé cet acte (potentiel de préparation motrice). Le scientifique Libet a en revanche identifié des potentiels de préparation avortés au moment de l’acte quand celui-ci n’a pas été effectué. Le libre-arbitre pourrait ne pas être une illusion, mais il ressemblerait plus à un droit de veto qu’à une autonomie absolue de la volonté.