L’if (Taxus baccata)
L’if commun ou if à baies est devenu rare en Europe, alors que les ivaies devaient couvrir une partie de l’Europe avant la dernière période glaciaire.
Celles-ci peuvent s’établir sur les berges des eaux stagnantes ou courantes et, dans certaines régions, on les disait sacrées. L’attitude des hommes envers les ifs a toujours été ambiguë, du fait de la forte toxicité de cet arbre.
Originaire de la partie occidentale de l’Ecozone paléarctique (Europe, Afrique du Nord, deux-tiers de l’Asie et Moyen-Orient), l’if commun est essentiellement présent en sous-bois de feuillus (hêtraies et chênaies humides, voire sapinières…), principalement en basse et moyenne montagne. Même s’il est désormais rare à l’état naturel, il reste présent sur la majeure partie du territoire français et particulièrement représenté en Bretagne, Normandie, dans les Vosges du Nord, en Corse et dans les Chaînons-Provençaux où certains sujets pourraient avoir plus d’un millénaire.
Yggdrasil, l’Arbre du Monde, Un frêne ou un if ?
If : un arbre majestueux, immuable et hors du temps

Bien qu’il dépasse rarement 20 m de haut, l’if, s’il n’est pas taillé, développe une ramure ample à la cime arrondie, mais sa croissance est très lente. L’arbre développe souvent des troncs multiples et noueux, à l’écorce brun-rouge qui s’exfolie en vieillissant. Contrairement à la majorité des conifères, l’if ne porte pas des aiguilles, mais des feuilles de 2 à 4 cm de long, plates et souples, disposées en spirale autour de la tige.
Vert très foncé dessus, elles sont beaucoup, plus claires au revers. Leur longévité est de 7 à 8 ans.
Un nom botanique qui évoque la toxicité de l’arbre

Le genre Taxus a été créé en 1754 par le naturaliste Suédois Carl von Linné (1707-1778). Ce nom désignait déjà la plante dans l’Antiquité. Il est sans doute dérivé du latin toxicon, toxique. Les Romains, puis les Gaulois empoisonnaient leurs flèches avec le jus des feuilles d’if écrasées. Jules César (-100 à -44) rapporte dans Commentaires sur la Guerre des Gaules (Livre V, chapitres 24 et 26, Livre VI, chapitre 31) que le roi des Éburons, Catuvolcos, qui occupaient une partie de la Belgique actuelle, s’empoisonna avec de l’if en 53 av. J.-C.
Poison cardiotoxique, la taxine

Toutes les Taxacées contiennent une substance toxique complexe : la taxine, qui se décompose en six alcaloïdes. Découverte en 1856, c’est une substance cardiotoxique qui agit aussi sur le centre respiratoire des animaux à sang chaud. Outre la taxine, l’if contient des huiles volatiles responsables d’une irritation de l’estomac et des intestins.
La taxine reste active après cuisson, séchage ou conservation de la plante. Les feuilles sont les parties de l’if qui en contiennent le plus. La teneur en taxine s’élève à mesure que la saison avance. Elle semble à son apogée sur le feuillage desséché. La taxine se trouve également dans les graines qui doivent être mâchées pour libérer le poison. On rapporte aussi que nombre de chevaux, qui étaient jadis utilisés pour tirer des corbillards, périrent après avoir mangé des feuilles d’if en attendant près du cimetière la fin des cérémonies.
If, l’arbre funéraire, prédilection des cimetières

Est-ce sa longévité qui en ferait un symbole d’immortalité ? Le fait est que l’if a toujours été associé aux cimetières. Même les Égyptiens le considéraient comme un symbole de deuil. Par ailleurs, dans le calendrier des arbres qu’affectionnaient les Celtes, le jour de l’if, arbre sacré pour les druides, correspond à celui de la Toussaint. Ils pensaient que l’if assurait la liaison entre les morts et les vivants.
Outre le respect que l’homme a toujours montré pour cet arbre, très lent à se développer, c’est surtout son feuillage éternellement vert qui symbolise l’immortalité. Il est donc logique que, dans le langage des fleurs, l’if exprime le chagrin.
La légende veut aussi que les racines des ifs pénètrent dans la bouche des cadavres et contribuent ainsi à la résurrection. Les Grecs et les Romains partageaient l’idée que l’if est à la fois un symbole de mort et de résurrection. Cet arbre était consacré à Hécate, la déesse de la lune noire, qui symbolise la mort. Au milieu de l’été pour les fêtes des Saturnales, les Romains sacrifiaient à Hécate des taureaux noirs décorés de guirlandes formées de branches d’ifs, dans l’espoir que la déesse, apaisée par le sang des animaux sacrifiés, leur offrirait un hiver clément.
De nos jours, l’if d’Europe est associé au dimanche des Rameaux où il peut remplacer le buis en tant que plante à bénir.
Arbre qui se régénère en permanence
Certains pensent que l’if serait quasi immortel, dans la mesure où les vieux sujets possèdent la particularité de se marcotter naturellement. Ils laissent pendre leurs branches vers le sol où elles s’enracinent, produisant de nouvelles pousses, tandis que la partie la plus ancienne se creuse, finissant même par disparaître. C’est ainsi que l’on observe parfois des « tunnels d’ifs » naturels, constitués de parties d’un arbre qui se sont régénérées au fil des décennies. Ces formations sont particulièrement spectaculaires au Royaume-Uni.
If, son bois est une arme fatale
Imputrescible, le bois de l’if est à la fois très dur et très souple. Il a été utilisé dès la préhistoire (400 000 ans) pour fabriquer des épieux et des lances, puis on en a fait des arcs et divers objets usuels. Résultat : les principales forêts d’ifs avaient disparu dès le Moyen-Âge (après la Guerre de Cent Ans), d’autant que les agriculteurs arrachaient ces arbres pour éviter que leur bétail ne s’empoisonne.
Les peuplements sauvages sont aujourd’hui très rares. Celui du massif de la Sainte-Baume (Bouches-du-Rhône) est un des plus importants, des ifs, parfois très âgés, y cohabitent avec des hêtres (Fagus sylvatica) et des houx (Ilex aquifolium).
Le bois bicolore (marron clair à la périphérie, brun orangé foncé au cœur) de l’if le fait rechercher par les sculpteurs et les ébénistes qui l’emploient en marquetterie.
A l’école primaire, la biologie nous apprend que l’on distingue les feuillus des conifères en raison de différences botaniques bien marquées. A considérer l’if, l’on est, bien entendu, tenté de le ranger dans cette seconde « famille », qui porte parfois le nom de « résineux ». Mais si l’on veut rendre fidèle son identité par le détail, l’if s’oppose à cette catégorisation hâtive. Il se différencie des conifères classiques dans le sens où ses épines ne sont pas épineuses. Puis, selon l’étymologie, le mot conifère, nous explique ceci : qui fabrique des cônes. Or, l’if ne porte aucune « pomme de pin » sur ses branches, mais des « baies », d’où le surnom latin de baccata. Enfin, dernier détail et non des moindres, l’if ne sécrète absolument aucune résine ! Ainsi, malgré son immense souplesse, l’if n’est pas prêt à se laisser ranger dans telle ou telle case, bien qu’il se rapproche davantage des conifères par ses « feuilles » persistantes qui lui font un petit air de sapin. Notons cependant que la yeuse (ou chêne vert, Quercus ilex), classée parmi les feuillus, possède elle aussi un feuillage semper virens. Alors que le mélèze, autre conifère, voit ses aiguilles tomber à l’approche de la morne saison. Nous voyons que les choses ne sont pas toujours aussi tranchées et que ces quelques éléments nous obligent à ne pas les regarder par le plus petit bout de la lorgnette.
Taxus baccata, donc. Tel est le nom latin de l’if. Ce mot, taxus, découle d’un terme beaucoup plus ancien, tecs, terme qui rend compte de la facilité avec laquelle l’on peut travailler et sculpter le bois d’if, mais également la docilité avec laquelle il se laisse tailler.
C’est une véritable pâte à modeler végétale que cet arbre-là : par la souplesse de son bois, la qualité de sa coupe et de sa taille, il se prête, sans broncher, à toutes les fantaisies.
Mais derrière ce taxus se cache bien plus que des talents d’ébéniste ou de jardinier paysagiste. Par dérivation, tecs devint, en grec, toxos, « arc » et toxon, « flèche » (qui, lui, porte le double sens de « flèche » mais aussi de « flèche empoisonnée »).
C’est donc à partir de lui que l’on forgea le mot toxique (1). La question de la toxicité de cet arbre est connue depuis l’Antiquité : il ne faut pas être né de la dernière pluie pour avancer que l’if contient un poison, cela on le sait depuis belle lurette.
En revanche, l’on peut plus difficilement saisir sa relation à l’arc : son bois imputrescible offre matière à la fabrication d’objets usuels depuis les temps préhistoriques, comme des peignes et d’autres petits objets utilitaires, mais aussi, et surtout, des armes : boucliers, hampes de lances et manches de haches.
Également des corps de flèches et des arcs, comme le prouve la découverte qui fut faite en 1991 dans un glacier à la frontière de l’Italie et de l’Autriche : la célèbre momie surnommée Ötzi, accompagnée d’un arc en bois d’if, vieille de 5500 ans.
Cela dénote que l’if est une espèce végétale que l’homme a « apprivoisée » il y a déjà fort longtemps, et que l’invention de l’arc en if n’est pas aussi récente que cela (2).
Non seulement les Celtes taillèrent des flèches dans du bois d’if, mais employèrent le poison contenu dans les feuilles de cet arbre pour en enduire les pointes, procédé qui ne se destinait en rien à la chasse mais à la guerre : en effet, un animal intoxiqué par l’if porte dans sa chair la trace du poison.
Consommer cet animal expose à s’intoxiquer à son tour. L’if n’est donc pas le bois du chasseur, mais celui du guerrier, et incarne, pour beaucoup, une symbolique martiale et militaire.
C’est lui, par exemple, que l’on lit dans le nom de ce jeune guerrier irlandais qu’était Ibarsciath (= « bouclier d’if »). Un autre guerrier – Jules César –, dans La guerre des Gaules, fait état de la tribu des Éburons dont l’un des deux rois, Catavulcos, se donna la mort après la défaite d’Ambiorix, en ingérant du suc de feuilles d’if. Chez les Éburons, l’if, c’est à la vie à la mort, puisque le nom de ce peuple provient du mot eburovices (exactement : aulerci eburovices = « combattants par l’if »), qui descend lui-même d’evor, « if ». Aujourd’hui, l’on connaît encore les Ébroiciens, c’est-à-dire les habitants de la ville normande d’Évreux à laquelle l’if a donné son nom, ainsi qu’à la ville d’Évrecy dans le Calvados.
Mais il n’est nul besoin de lire César pour savoir que l’if est animé d’intentions délétères : on en a pris connaissance depuis le temps de Théophraste au moins, c’est-à-dire au IV ème siècle avant J.-C. Puis ce fut au tour de Nicandre de Colophon de relayer cette toxicité (Alexipharmaka, II ème siècle avant J.-C.), de Pline et Dioscoride, l’if faisant partie, alors, de l’arsenal des empoisonneurs du temps de l’empereur Auguste : « pris par la bouche, explique Dioscoride, il refroidit tout le corps, ‘étrangle’ et finalement il tue en peu de temps ».
Pline relate également la toxicité de l’if, signalant que des tonneaux en bois d’if communiquent au vin qu’ils contiennent une partie de son pouvoir mortifère.
Il s’agit là d’une toxicité indirecte, de la même nature (ou presque) que celle, curieuse, que l’on rapporte depuis au moins 2000 ans : même sans contact direct, se tenir auprès d’un if quelque temps n’est pas sans danger. C’est ce qu’écrit Sextius Niger : « Son poison est en Arcadie si actif qu’il tue ceux qui dorment ou mangent sous l’arbre. Certains disent que c’est l’origine du mot taxique, ancien nom du poison dans lequel on trempe les flèches ».
Ce n’est pas un cas isolé. Durant l’Antiquité gréco-romaine, cette croyance voulait que quiconque s’arrêtait, se reposait ou faisait la sieste à l’ombre de cet arbre était nécessairement victime d’émanations toxiques qui en provenaient.
Cette réputation n’est pas restée cantonnée qu’à la seule Antiquité puisqu’au XIX ème siècle, elle était encore vive dans les campagnes italiennes, comme en Lombardie, où l’arbre était donné coupable de provoquer la « fièvre », accusation qui dépassa le cadre de la ruralité et dont Cazin témoigne durant le même siècle.
Après avoir rapporté le cas de quelques praticiens qui ne rencontrèrent aucun des inconvénients auquel expose généralement l’if, le docteur Cazin relate ceci : une jeune fille passa la nuit sous un if, et le lendemain, sa peau s’était couverte de ce qui ressemblait à une éruption miliaire (3).
« Pendant les deux jours qui suivirent, ajoute-t-il, elle demeura dans une sorte d’ivresse » (4). Faut-il l’appeler ifresse ?
Cette idée de toxicité à distance qui rappelle celle du noyer, est particulièrement tenace et évoque la manière dont les guerriers celtes faisaient transporter la toxicité de l’if par voie aérienne, l’arc, toxos, portant la toxicité de la flèche, toxon, au loin.
Mais celle-ci sert des desseins criminels. Qu’en a-t-il donc à faire, l’if, que, se reposant sous son feuillage, on s’en relève dans un état second, quand on ne s’en relève pas du tout ?
Reposer sous un if, n’est-ce pas là une façon édulcorée d’indiquer le trépas par le biais d’un arbre pourvoyeur de toxines dont on ne connaît aucun antidote ? Qu’importe. Parfois, la superstition est beaucoup plus appuyée que le bon sens.
A une époque, on faisait des procès aux animaux avant, éventuellement, de les passer par les armes selon la gravité des charges qui pesaient sur eux.
L’if, bien que végétal, est l’une de ces autres victimes de la bêtise humaine : sa toxicité est telle qu’on en est venu à l’éradiquer des forêts européennes pour des cas d’empoisonnement sur le bétail (bœufs, vaches, moutons), les animaux de trait (chevaux, ânes) et de basse-cour (poules, poulets), tandis que d’autres animaux (souris, cobayes, lapins, chats, chevreuils) semblent immunisés.
De même que les ânes de Toscane, les chroniques du Père-Lachaise rapportent que des chevaux assignés aux corbillards avaient la fâcheuse tendance à brouter des aiguilles d’if durant les enterrements.
Gourmandise pour le moins fatale qui nous mène droit au cimetière.
Dans le monde celte, l’if, qui est l’un des cinq arbres sacrés, est un arbre funéraire, et cet arbre dont les Celtes disaient qu’il incarnait l’arbre primordial, était aussi un arbre de justice : sur des tablettes de bois d’if, les druides gravaient la condamnation à mort des coupables, puis on les passait au feu.
Cela n’était qu’une fois intégralement consumées que les coupables étaient censés se dessécher sur pied.
De là, sans doute, a-t-il acquis un caractère néfaste et inquiétant, à l’image de l’if, ingrédient du brouet des sorcières, en compagnie de la ciguë, dans le Macbeth de Shakespeare.
L’arbre fatal est symbole d’immortalité, car s’il corrompt, il ne se corrompt point lui-même. Ou si peu. La présence de l’if dans les cimetières est attestée de la Grande-Bretagne jusqu’aux rivages de la mer Méditerranée : elle dit toute l’étendue du monde celte d’il y a 2000 ans.
Son immortalité est soulignée par son caractère toujours vert et par sa longévité à l’épreuve du temps qui en font un être hors du commun. Citons quelques-uns de ces ifs remarquables :
– En France : au nord du département de l’Eure : La Haye-de-Routot, dont le cimetière abrite deux ifs dont l’âge est estimé à 1500 ans.
Ces ifs millénaires au tronc creux hébergent l’un une chapelle dédiée à sainte Anne, l’autre un oratoire à Notre-Dame de Lourdes.
Au Nord-Ouest d’Évreux, se trouve dans le cimetière du village Le Troncq un if creux dont l’écorce se referme sur la statue de la Vierge qu’on y a placée.
Il ne dépasserait pas le millénaire toutefois (800 ans). Puis vient, toujours en Normandie, mais dans le département du Calvados, l’if du cimetière d’Estry, à 40 km au Sud-Est de Saint-Lô. Cet arbre, creux lui aussi, qu’on estime être le plus vieil if de France, serait âgé de 1600 à 1700 ans.
– En Grande-Bretagne, il y en aurait, dit-on, de plus vieux encore : l’if du cimetière de Crowhurst, dans le Surrey, dont l’âge est compris entre un et deux millénaires, est sans doute plus jeune que ce vénérable if écossais de Fortingall, dont l’âge fort avancé (entre 2000 et 5000 ans !) en fait l’un des plus vieux arbres d’Europe.

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Que ces cimetières se soient organisés autour d’ifs préexistants ou qu’il s’agisse de l’inverse importe peu : ce qui doit être remarqué ici, c’est la présence de ces arbres aux abords ou à l’intérieur de ces aires de repos que sont les cimetières, et sa nécessaire connexion avec le deuil, la tristesse, la solitude, en définitive la mort.
Cette relation de l’if à la mort n’est plus à faire, de même pour le cyprès.
Elle aura donné lieu à de nombreux éléments légendaires, comme celui-ci : « En Armor, on croyait naguère que les ifs, qui sont les âmes des morts, ne doivent figurer qu’en un seul exemplaire dans les cimetières, car ils poussent leurs racines dans la bouche de tous les morts qui y sont enterrés » (5). Il n’est donc pas étonnant de retrouver l’if étroitement associé aux enfers dans le monde hellénique (enfers, rappelons-le, qui diffèrent grandement de l’enfer tel que considéré par le christianisme).
Poussant dans ces régions infernales, selon les mythologies il est l’un des attributs d’Hécate la triple, des Furies ou Érinyes, divinités vengeresses portant des torches de bois d’if.
De même, les prêtres et les prêtresses de Déméter et de Perséphone, déesses chthoniennes, étaient couronnés de rameaux d’if et de myrte.
Sans doute n’avaient-ils pas la crainte de la menace que cet arbre fit porter sur quiconque par la suite, comme le remarqua Lucrèce.
Car ils virent en lui autre chose que la finitude : peut-être l’espoir d’une vie très différente de « l’autre côté, cet « Autre Monde » des Celtes, cette immortalité de l’âme que l’if incarne à merveille.
Ce qui rapproche davantage l’if de la mort, c’est que l’on n’aura pas idée, par exemple, de couper des rameaux d’if pour en décorer l’intérieur des maisons lors des festivités du solstice d’hiver, contrairement au houx, au lierre et au sapin, car cela serait inviter la mort chez soi.
Si les Celtes préféraient plutôt planter des ifs au début de l’hiver, c’est parce que c’était là un moyen d’accéder à la connaissance de toute chose, à l’intelligence, à l’organisation aussi de cette science, prérogative s’exprimant à travers l’alphabet oghamique dont la portée est également divinatoire.
Les planchettes sur lesquelles les oghams sont inscrits sont, traditionnellement taillées dans du bois d’if ou, plus couramment, dans du bois de noisetier, de sorbier ou encore de bouleau.
Il faut puiser au sein de ces trois autres arbres (Coll le noisetier, Beith le bouleau, Luis le sorbier) pour faire entrer en ligne de compte les différentes symboliques qui les lient au monde des oghams, auxquels on peut ajouter Quert, le pommier, autre arbre sacré des Celtes, avec lequel l’if entretient des relations que, parfois, l’on ne soupçonne pas, comme ces deux anecdotes peuvent le mettre en lumière : l’« arbre à pommes », tout d’abord.
« Selon cet usage qui remonte aux Celtes, on vend aux enchères une vingtaine de pommes – fruits de l’autre monde, symboles celtiques d’immortalité et de connaissance – fichées sur les branches taillées d’un if, le soir du 1er novembre » (6). Outre cette date temporellement importante, la somme d’argent récoltée se destinait à aider les familles frappées par le deuil.
La seconde de ces anecdotes qui rendent compte de l’interrelation entre l’if et la pomme, tient en une très grosse métropole, New-York. « York, comme l’explique le regretté Jean-Marie Pelt, a la même origine avec, semble-t-il, un « recouvrement » de la racine par la désignation anglo-saxonne yew, qui a donné « if » [nda : en anglais moderne, yew signifie toujours if]. Ainsi la plus puissante métropole du monde, New-York, porte-t-elle un nom « gaulois », même si elle a choisi la pomme comme symbole » (7). Et, « gauloise », la pomme ne l’est pas moins.

Taxus découle aussi du grec taxis. Par exemple, taxi, qui n’est jamais qu’une apocope de taximètre, provient du grec taxis, « arrangement, ordre » ou mieux : ordonnancement, mise en bon ordre, en apprêt, en beauté. L’if est un être surnaturel : il marcotte. Un if central peut faire enraciner ses branches périphériques les plus basses qui, s’enfouissant dans la terre, forment comme une couronne tout autour de l’if principal. Le cœur de cet if primordial peut finir par disparaître, comme nous avons pu le constater chez les ifs remarquables de Normandie et de Grande-Bretagne. Se forme alors une cavité, un abri.
Que sont-ce que ces lieux, quand ils ne sont ni chapelle ni oratoire, installés au creux d’un vieil if ? Rappelons-nous les émanations – réelles – de l’arbre, et l’« ivresse » que, parfois, elles suscitent… Rappelons aussi que l’if, par ce type de contact, peut engendrer un état de mort apparente accompagné d’un affaiblissement du pouls et de la respiration qui deviennent si imperceptibles, que la personne ayant inhalé ces émanations donne toute l’apparence de la mort.
« Par temps chaud, il possède la particularité d’exsuder une vapeur que les chamans inhalaient pour déclencher des visions, des états de conscience extatiques et des voyages dans l’invisible permettant de visiter l’Autre Monde » (8). Qu’il soit là question de NDE ou de décorporation, l’on cherche à nous faire comprendre, grâce à l’if, ce qui se passe de « l’autre côté ». Cette mort, qui est-elle ? Qu’est-elle ? Quel est son sens ? L’ogham Ioho nous interroge à ces sujets, mais aussi aux moyens d’entrer en contact avec les défunts, la nécessité parfois et les dangers que présentent souvent les méthodes qui permettent d’y parvenir.
C’est pour cela que l’if est à l’honneur durant Samain, moment temporel souvent décrit comme étant un lieu où se rejoignent les hommes encore vifs et ceux déjà morts, ainsi qu’esprits, entités et divinités.
L’if, comme expression de la destinée et de la finalité, cherche néanmoins à faire dépasser l’idée de la seule mort charnelle du corps, les symboliques « chrétiennes » qu’on lui a associées devant être outrepassées, puisqu’il est davantage question, à travers Ioho, de morts symboliques, de transformations intérieures nécessaires et incontournables.
Dès lors qu’on aborde l’if, il est capital de nuancer le propos en faisant référence, par exemple, à l’une des divinités celtes les plus connues, le Dagda, qui porte aussi le nom d’Eochaid, lequel contient une référence explicite à l’if, puisqu’il signifie : « qui combat par l’if ».
Aussi ne sera-t-on pas surpris de le voir détenir une massue en bois d’if dont l’une des extrémités donne la mort, l’autre accordant la résurrection. C’est parce qu’il « maîtrise les éléments et le temps, les cycles temporels, donc l’éternité » (9), que la relation de l’if au Dagda s’illumine et fait inexorablement penser au serviteur de la roue, Mog Ruith, dont l’attribut, une roue cosmique, est elle aussi façonnée dans du bois d’if.
Malgré tout, l’if n’est pas que « mal », empoisonnement et destruction. Si l’on considère ce qu’en disait Hildegarde de Bingen au XII ème siècle, l’on se trouve projeté sur l’autre versant : l’Ybenbaum « est image de joie. Lorsqu’on brûle son bois, la fumée et les humeurs qui en sortent ne font de mal à personne […]
Si quelqu’un se fait un bâton avec ce bois et le tient dans ses mains, celui-ci est bon et utile pour lui, la prospérité et la santé de son corps » (10). Après ce que nous venons de dire, cela paraît presque fou, mais l’on ne peut donner tort à l’abbesse, même si, durant des siècles, l’if fut regardé d’un œil mauvais, jusqu’à ce que des recherches plus poussées soient menées aux États-Unis puis en France dans les années 1960-1970. Elles aboutirent à l’obtention de molécules anticancéreuses. Comme quoi, la perle est assez souvent à côté du dragon !
L’if dit d’Europe est un arbre endémique à tout l’hémisphère nord : on le trouve autant en Europe, en Asie qu’en Amérique septentrionale, peuplant essentiellement les régions calcaires et montagneuses (de 250 à 1600 m d’altitude).
Malgré le très grand âge qu’il lui arrive parfois d’atteindre, l’if n’est jamais un arbre gigantesque du fait de sa très lente croissance. Avec ses quinze mètres de haut maximum, il n’a jamais rien d’un géant. Habitué au sous-bois, en compagnie du houx, du fusain, du noisetier et du sureau, on le croise cependant plus souvent à l’état cultivé que sauvage. Dans ce dernier contexte, il est beaucoup plus rare qu’autrefois, ainsi en était-il déjà il y a une cinquantaine d’années en Europe.
Ses feuilles plates, brillantes au-dessus, mates en dessous, sont disposées en spirales sur les rameaux.
Elles abritent deux types de fleurs sur des pieds distincts, l’if étant une espèce dioïque : des fleurs mâles à étamines (4 à 12) situées à l’aisselle des feuilles pourvoient à la dissémination printanière du pollen.
Elles sont très nombreuses, bien davantage que les fleurs femelles qui prennent l’allure d’un petit bourgeon verdâtre, organe femelle en réalité, contenant un seul ovule nu, non enveloppé d’un ovaire, cerné cependant d’une « coupe » membraneuse qui, plus tard, donnera l’arille rouge et translucide au centre de laquelle est fixée une graine brune, dure et solide, ce qui est heureux, car très toxique : ainsi, avaler une « baie » d’if n’expose pas au même danger, d’autant que la dureté de sa graine empêche que des jeunes dents ne la mastiquent, l’arille étant, elle, comestible. Peut-elle, cette comestibilité, faire oublier la relative toxicité de l’if ? Peut-être pas. Mais après 5000 ans (au moins) d’usages multiples, l’if a offert au monde quelque chose d’insoupçonné jusqu’alors. C’est ce dont nous allons maintenant discuter.
L’if en (phyto)thérapie
Soucieux de faire tout ce qui était dans son pouvoir, le président des États-Unis Richard Nixon prit l’initiative, dans les années 60, de doter la science d’armes anticancéreuses à même de venir à bout de ce fléau à l’orée de l’an 2000. Plus de 35000 espèces végétales furent passées au crible, avant qu’on ne s’arrête devant une molécule inconnue extraite de l’écorce de l’if du Pacifique (Taxus brevifolia), à qui l’on fit prendre le nom de taxol en 1971. L’if n’étant pas arbre à se laisser abattre, il donna bien du fil à retordre à la recherche, puisque de 1983 à 1993 plus de trente équipes scientifiques américaines s’attelèrent à la synthèse du taxol.
Fort complexe, il ne se laissa pas synthétiser de cette façon. Face à cette réticence de l’if, les Américains prirent le problème à bras le corps si je puis dire, et décidèrent d’écorcer une effarante quantité d’ifs du Pacifique, dont, comble de malchance, beaucoup périrent. Le gain fut minime pour ne pas dire ridicule : une douzaine de milliers d’if donnèrent, en tout et pour tout, seulement deux petits grammes de taxol en 1988 !… Pas de quoi pavoiser, alors que la date butoir de l’an 2000 approchait à grands pas. Outre la difficulté posée par la synthèse du taxol, il se trouve qu’un autre problème de taille a imposé une contrainte nouvelle aux hommes : comme le montrent assez bien les très fins anneaux de croissance de l’if, cet arbre croît très lentement. Il fut donc impossible d’imaginer et encore moins de planifier une culture en grand d’ifs du Pacifique.

Parallèlement, en France… Ayant eu vent des recherches américaines, le professeur Potier s’intéressa de plus près à l’if dès 1979. Cela tombait fort bien, puisque le percement d’une route dans le parc du laboratoire de chimie des substances naturelles du CNRS basé à Gif-sur-Yvette (11) dans le département de l’Essonne, obligea à l’abattage d’ifs d’Europe centenaires.
Riche de cette matière première disponible, le professeur Potier s’attelle, lui aussi, à la tâche. Il parvient à isoler une molécule différente du taxol, le 10-désacétyle-baccatine III, précurseur du taxotère, non pas dans l’écorce mais dans les pousses de l’if européen. Cette nouvelle molécule, beaucoup plus efficace que le taxol, présente aussi l’intérêt d’être plus facilement obtensible. Cependant, un problème survint : « On s’aperçut que dans les cancers du côlon notamment, les cellules cancéreuses résistent volontiers au taxotère, raconte Jean-Marie Pelt. En fait ces cellules expriment des gènes de résistance aux drogues qui fabriquent une sorte de protéine vigile : lorsque cette protéine voit arriver le taxotère à proximité de la cellule, elle bloque son entrée et annule ainsi son activité. En employant un dérivé masqué, très voisin mais non identique, on peut tromper la protéine vigile, qui laisse alors entrer la molécule camouflée, laquelle pourra remplir sa tâche en éliminant la cellule cancéreuse. C’est d’ailleurs une des préoccupations majeures des cancérologues que d’améliorer le transport de médicament jusqu’au lieu où il doit agir, sans détruire les organes sains et sans qu’il se détériore lui-même en cours de route » (12). D’où l’importance des leurres : l’if serait alors un cheval de Troie. Par ailleurs, à bon arc et à bonne flèche, il faut un bon tireur. Ce n’est que dans des mains expertes que l’if fait mouche. C’est donc pour cela que l’automédication, avec l’if, est interdite, sinon formellement déconseillée : l’on ne peut pas imaginer se faire une infusion de feuilles d’if, comme on décocte des bourgeons de pin. Cela serait malséant et inutilement dangereux. Quand on pense que la seule sciure de bois d’if peut provoquer des maux de tête et son branchage, lors d’une taille, l’apparition d’irritations cutanées, l’on se gardera de faire une telle sottise.
Outre cet usage précis et méticuleux de l’if dans certains cancers (sein, ovaire, poumon) localement avancés ou métastasés, les recherches se sont étendues aux possibles vertus antipaludéennes et antidiabétiques de l’if.
Autrefois, les poudres de bois ou de feuilles, ainsi que les extraits aqueux ou vineux servirent tout de même un peu en cas d’affections rhumatismales, scrofuleuses et urinaires.
Les fièvres intermittentes, ainsi que l’aménorrhée, les amygdalites, la diphtérie, le rachitisme et le scorbut se trouvèrent bien de l’usage de l’if européen en thérapie. La pulpe de l’arille ne fut pas non plus oubliée : adoucissante, antitussive, laxative et diurétique, sa gelée ou son sirop s’administrait en cas de toux chronique et coquelucheuse, de catarrhe vésical, de gravelle, etc.
Mais cela n’est pas vraiment ce que l’on a retenu de l’if, ses baies rouges jouant le rôle d’un signal qui alerte sur la toxicité de cet arbre, mais qui, on l’a oublié, ne s’étend pas à son intégralité.
C’est pourquoi on lit encore çà et là que l’arille rouge des baies d’if est aussi toxique que le reste, c’est-à-dire l’écorce, le bois et les feuilles, lesquels se caractérisent tous par l’alcaloïde amer et toxique qu’ils contiennent, la taxine. Voici ce que l’on a remarqué et qu’il faut prendre en compte quand on s’approche de l’if : ce sont principalement les feuilles les plus âgées qui sont pourvoyeuses des substances toxiques, les jeunes pousses l’étant beaucoup moins. La dessiccation renforce l’agressivité de la taxine. Enfin, l’ébullition n’amoindrit pas la toxicité des feuilles d’if.
Les plus légers cas d’intoxication à l’if relatent nausées, vomissements et diarrhées.
Au-delà, ce sont des effets beaucoup plus redoutables qui sont à craindre. L’if irrite, par son âcreté, l’ensemble du tube digestif et de la poche stomacale, qu’il enflamme et endolorit.
Ensuite, il porte son action sur la respiration et la circulation : il ralentit le pouls, abaisse la pression sanguine, perturbe le rythme cardiaque. Puis, non sans avoir tuméfié le foie et enflammé les reins, il provoque crampes, vertiges, assoupissement et syncope.
Enfin, il amène, parce qu’il est un poison du cœur, un arrêt cardiaque, le plus souvent accompagné d’un arrêt respiratoire faisant suite à une cyanose et un coma.
Voilà ce qu’il en est de la toxicité de l’if qui n’est pas autre chose que le résultat d’une main malhabile ou criminelle. Or, l’if, ne souffre pas l’approximation, mais requiert, tout au contraire, de la précision, de l’exactitude et de la sagesse. C’est bien pour cela qu’on le trouvait entre les mains des druides il y a de cela des milliers d’années.
- La racine tox est visible en français, en anglais, en allemand, en hollandais, en espagnol, en portugais, en roumain… C’est dire l’universalité déjà fort ancienne de l’if et, surtout, la pérennité de tox dans le temps, à l’image de celle de l’if.
- Durant la Guerre de Cent Ans, lors de la bataille de Crécy (26 août 1346), les archers anglais infligèrent une sévère défaite aux Français. Les Anglais étaient alors équipés d’arcs solides et flexibles, très longs, en bois d’if : les long bow. Leur supériorité technique paya encore lors de la bataille d’Azincourt (25 octobre 1415). L’affirmation selon laquelle l’arc en bois d’if est une invention anglaise est donc démentie par Ötzi.
- Ce sont des « boutons apparaissant lors d’une forte chaleur et accompagnés généralement de fièvre ».
- François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 485.
- Jacques Brosse, Mythologie des arbres, p. 257.
- Nadine Cretin, Fête des fous, Saint-Jean et belles de mai, une histoire du calendrier, p. 187.
- Jean-Marie Pelt, Les nouveaux remèdes naturels, p. 93.
- Julie Conton, L’ogham celtique, pp. 298-299.
- Ibidem, p. 299.
- Hildegarde de Bingen, Physica, p. 177.
- Cela est-il un nom prédestiné que ce Gif-sur-Yvette ? Il est, en tous les cas, phonétiquement très proche du mot ivette, nom d’une plante connue comme étant la bugle petit pin, Ajuga chamaepitys, ivette descendant, par le truchement du celte ivos, de l’if. L’étymologie, bien qu’elle soit indécise à ce sujet, attribue à Yvette une autre origine : provenant du mot ive, cela ferait référence, non pas à l’if, mais à l’eau, ce qui nous détourne de l’ivresse… Je trouve néanmoins fort intéressant ce petit clin d’œil qui signale, sans le vouloir, l’if à l’attention de la science, laquelle n’est pas passée à côté.
- Jean-Marie Pelt, Les vertus des plantes, pp. 91-92.
Sources: © Books of Dante – 2018
Un peu d’ethnobotanique
Les usages alimentaires de l’if commun…
D’après Jean Markale, auteur du Nouveau Dictionnaire de Mythologie celtique (Éditions Pygmalion – Gérard Watelet, 1999)
L’if (en gaélique *iur) est un “arbre sacré chez les Celtes et dont les druides utilisaient les branches pour des opérations magiques ainsi que pour y graver des inscriptions, généralement des formules d’exécration, en caractère oghamiques. Dans la tradition irlandaise, il y a deux ifs célèbres, l’If de Ross, arbre primordial dont les fruits donnaient la science et la sagesse à qui en mangeait, et l'”If de Mugna. Ce dernier, localisé près de Moone, dans le comté de Kildare, était également un arbre primordial dont les fruits tombaient dans une fontaine et servaient de nourriture à un saumon en lequel étaient rassemblées toutes les connaissances du monde. Mugna signifie précisément “saumon” et le mot se prononce Moone. Plusieurs peuples gaulois et bretons ont des appellations qui rappellent le nom celtique ancien de l’if (evor), tels les Eburones de Belgique et les Aulerci Eburovices de la région d’Evreux. Les noms d’Evreux et de York viennent de là.”
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Selon Thierry Jolif auteur de B. A.- BA Mythologie celtique, (Éditions Pardès, 2000)
“Nous savons, par le biais des textes irlandais, que les baguettes d ‘if étaient utilisées pour graver les ogam qui servaient à la divination. En ce qui concerne la Gaule, nous ne possédons aucune mention de l’if dans les incantations à notre disposition, et seul un court passage du De Bello Gallico nous apprend que le roi Catuvolcus fut empoisonné en en absorbant. L’if était utilisé à la fois par la magie druidique et pour fabriquer des armes, hampes de lance et boucliers. Son symbolisme est donc double, à la fois sacerdotal et guerrier, ce que confirme l’un des noms du Dagda : Eochaid, qui signifie “qui combat par l’if”. On peut donc voir dans ce bois un symbole de la Souveraineté dont il sert les deux aspects.
L’if de Mugna était un arbre primordial dont les fruits, en tombant dans une source, nourrissaient un saumon (animal qui symbolise la science). Nous retrouvons ici la conception traditionnelle de l’arbre de la connaissance et du pilier cosmique. L’if a peut-être remplacé le chêne pour les Celtes insulaires.”
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Selon Didier Colin, auteur du Dictionnaire des symboles, des mythes et des légendes ( (Hachette Livre, 2000)
Nous avons oublié que, à l’instar des samouraïs, les guerriers celtes qui n’avaient pas été à la hauteur de leur mission, dont l’honneur était mis en cause – ou tout simplement pour défendre jusqu’au bout leurs croyances et convictions -, se donnaient la mort en s’empalant sur leurs épées plantées dans le sol, sous l’if sacré, consacré au royaume des morts. Car l’if était un symbole d’immortalité chez les Celtes. C’est peut-être parce que nos ancêtres utilisaient son bois pour confectionner leurs boucliers, qu’ils lui attribuèrent de telles vertus protectrices contre la mort. Les Romains surnommaient les Celtes du nord-ouest de la France, de Bretagne et d’Irlande, Eburovices, c’est-à-dire les combattants par l’if. Les actuels habitants de la ville d’Evreux, en Normandie, les Ébroïciens, portent le même nom. Selon la mythologie celtique, Hu-Ar-Bras, le premier des druides, et plus tard son disciple Mog-Ruth, interrogeaient l’oracle et les dieux sur une roue en bois d’if, qui était considérée comme la roue des renaissances, des destinées humaines et de la fin des temps. Mais au Moyen Âge, de la notion d’immortalité attribuée à l’f par les Celtes, on n’a conservé que le rôle d’arbre funéraire qu’il jouait. Ainsi, on croyait qu’il ne fallait jamais s’asseoir ni s’endormir sous un if, au risque d’être emporté par une maladie mortelle ou dans l’éternel sommeil…”
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Selon Sabine Heinz auteure des Symboles des Celtes (1997, traduction française : Guy Trédaniel Éditeur, 1998)
“De nos jours, en Europe, l’if est en voie de disparition ; il aime les sols ombreux, humides qui sont de plus en plus rares. Toutes les parties de l’arbre sont toxiques, ce qui l’a rendu très tôt intéressant, aussi bien du point de vue médical que pour la fabrication des armes. Son bois souple peut également être utilisé dans de nombreux domaines ; comme le chêne, il ne pousse que lentement et devient très vieux.
Étant donné que les émanations de l’if sont elles aussi toxiques, elles peuvent, quand il fait chaud et qu’on approche l’arbre de trop près, nous envoyer dans un monde onirique dont on affirme qu’il est le médiateur entre l’ici-bas et l’au-delà. En Irlande, l’if semble, avec d’autres arbres, avoir joui d’une plus grande importance que le chêne.
Dans le Livre de Leinster (XIIe siècle), on trouve trente-trois titres pour l’if, l’arbre de Ross, qui regroupent de nombreuses significations (fortement agrémentées d’images chrétiennes).
Sous nos latitudes, beaucoup de noms prouvent également qu’il y avait autrefois de grandes forêts d’ifs : Ibersheim, Iba, Ibach.

Arbre de Ross
une roue royale
un droit princier…
meilleure des créatures
un dieu fort
porte du ciel
qualité d’une maison
bon compagnon
homme de parole
plein de générosité
possède la Trinité…
fils de Marie
une mer féconde
diadème de l’ange
puissance de la victoire
sévère tribunal
gloire de Leinster
force vitale et
miracle de la connaissance
arbre de Ross (extrait)
Marc-Louis Questin, dans La Tradition Magique des Celtes (1993, réed. 2016), nous apprend que :

“Le saumon est l’animal de la Science sacrée ; il est un des symboles de la sagesse secrète et de la nourriture spirituelle. Il symbolise la connaissance, la liberté et la souplesse. Il remonte à la source et s’y nourrit des fruits qui tombent de l’If de Mugna, l’If du Saumon, l’Arbre primordial… Il nage au sein de la Mère et ne fait qu’un avec elle.
L’If de Mugna porte des fruits merveilleux qui tombent dans une source où ils sont mangés par un saumon.
L’if, arbre solidement planté à l’écorce rude au feuillage toujours vert, représente l’éveil du Feu Primordial. C’est Uranus, le dieu du Ciel, dont l’ambition première est de se dégager de l’indifférencié, de l’océanique et , par suite, de monter, de s’élever, de se tendre en hauteur, comme pour s’individualiser au maximum. Il est associé au rouge, couleur de feu et de sang, qui image l’énergie vitale, sa pulsation et sa puissance. Initiatique, l’Arbre du dieu des druides revêt nécessairement une signification funèbre et chtonienne. L’if est l’arbre des Morts, dont le vert éternelle symbolise l’éternité de la vie spirituelle. Il est aussi l’arbre des Ovates.
Créé dans les abîmes de l’Océan, l’If (I-Inbar) émergea des Eaux Mères. Le monde sorti du chaos s’ordonna autour de son axe. Cet arbre primordial engendra tous les êtres vivants. Il est la cause première de toute chose manifestée. Menvo le Vieux (l’Homme Primordial), dernier fruit de l’arbre, entendit le premier les trois sons et fut appelé pour cela “Fils des Trois Cris”. Après lui, Einigan le Géant fit de ces trois sons les aspects et instruments du discours. De leurs divisions et subdivisions, il fit quatre signes différents selon leur place. Ainsi furent obtenues treize lettres. Il prit trois lettres, qui sont les formes et les signes de toutes les sciences. C’est par le moyen de ces dix lettres qu’on enseigna toutes les sciences, sauf le Nom de Dieu qui fut gardé secret.
L’if servait fréquemment aux incantations divinatoires et, en ce qui les concerne, les Irlandais semblent avoir utilisé plus volontiers le sorbier et le coudrier dans leurs opérations magiques. Presque chaque fois qu’un file ou un druide irlandais grave des ogams divinatoires ou magiques sur une baguette de bois, le bois est de l’if.
Sachez que les Arilles, petits fruits rouge vif et charnus de l’if, dont la forme évoque une clochette, sont sucrés te tout à fait comestibles en petite quantité. Par contre les graines dures de ses fruits, comme les aiguilles molles de son feuillage, renferment un principe très toxique, la Taxine, mortelle pour le bétail et les chevaux, qui le broutent volontiers.
Le taxotère qui bloque la multiplication des cellules cancéreuses est extrait des aiguilles d’if. Il s’agit d’un équivalent semi-synthétique du taxol, fabriqué non plus à partir de l’écorce mais des aiguilles de l’if qui, elles, se renouvellent constamment.
Anciennement on accordait à l’if des pouvoirs d’assainissement, le parfum de son feuillage chassant les rats et protégeant de la diffusion de la peste.
Le rituel de Samain est placé sous le signe de l’if. Séché et poli, son bois offre une extraordinaire résistance à la corruption.
L’un des cinq arbres magiques d’Irlande, l’arbre de Ross, était un if. Il est décrit comme “une ferme et droite divinité”. On l’appelle encore “la renommée de Bamba” (l’aspect de mort de la Triple Déesse Irlandaise), le Charme Magique de la Connaissance et la Roue du Roi, c’est-à-dire la lettre de mort présente au début et à la fin du cercle complet de la roue de l’existence. Comme pour se rappeler sa destinée, chaque roi irlandais portait une broche en forme de roue qui était léguée à son successeur.
“L’if , le plus noble arbre des bois,
Encor mince, on le nomme roi” (Aided Chloinne Tuirend)
Bien d’autres raisons que ses qualités techniques ou économiques vaudront à l’if l’aura particulière que lui accorderont les Celtes. Arbre au feuillage toujours vert, couleur de la végétation croissante, au développement particulièrement lent, l’if surprendra surtout par sa longévité considérable. On connait en Écosse un if deux fois millénaire et le petit village de Fortingall en Tayside en possède un qui atteindrait plus de trois mille ans ! Son origine immémoriale, sa fin indiscernable, feront aisément situer l’if comme hors du temps ; de là, les notions conjointes d’immortalité, d’éternité comme de contemporanéité de la naissance du Monde qui lui seront attribuées.
En tant qu’ancêtre présumé de la sylve celtique, c’est à partir de ses baies, confiées aux Irlandais par un géant au nom de Trafuilngid Tre-Eochair, sorte de Charpentier de l’Univers, épithète sous laquelle se dissimulerait la grande divinité panceltique Lugus, que prendront curieusement les principaux arbres symboliques d’Irlande, dont la diversité des essences et des fruits marquera le partage de l’Univers, c’est-à-dire de l’Irlande, dans les cinq directions (Quatre Orients, plus le Centre, telle est la division mythico-historique de l’île en cinq grandes provinces).”